Lorsque j’ai appris que j’attendais Zarico, je n’y pensais pas vraiment, d’une manière ou d’une autre, le résultat était le même pour moi. Le plus important à cet instant précis était qu’il arrive en bonne santé. Seulement, jamais je n’aurai pu soupçonner, ne serait-ce qu’un instant, que je pourrai ressentir ça un jour.
Il m’aura fallu du temps, beaucoup de temps, trop certainement, et un très long cheminement personnel pour en arriver à ce terrible constat.
L’évidence s’est imposée assez rapidement, pour diverses raisons. C’était le mieux pour Zarico. il le fallait, et, vu nos antécédents, il était presque irresponsable de tenter l’impossible et de jouer avec le feu. Puis ce fut pour moi que ce devint obligatoire, par urgence, il n’y avait plus d’autres issues possibles.
Dans un sens, et je le concède aujourd’hui avec humilité, je fus soulagée de cette prise de décision, bon gré malgré. J’étais jeune, on avait pris la décision pour moi, à l’époque, ça m’allait très bien comme ça. En revanche, je ne me doutais pas que je réaliserai, bien plus tard, que ce fut l’une des plus douloureuses expériences de ma vie.
Sur le moment, j’étais soulagée que mes pires angoisses de souffrances physiques ne s’envolent en un coup de bistouri et une bonne anesthésie. Oui, mais voilà, j’avais omis un autre type de douleur, la douleur psychologique, celle qui se pointe sans crier gare, celle qui reste latente, qui te mine et ruine ton quotidien jonché de merveilleux moments sans que tu ne t’en aperçoives vraiment.
Il m’aura fallu trois ans, trois longues, ou trop courtes, tout dépend de quel côté on se place, pour me rendre à l’évidence. Tout est devenu limpide, clair comme de l’eau de roche, lorsque Lady s’est invitée dans mon ventre, et bien plus encore, lorsque le grand jour est arrivé.
La peur au ventre j’entamais un périple dont je me souviendrai toute ma vie.
Cette fois-ci, on n’a pas eu à décider à ma place, cette fois-ci mon corps a parlé, cette fois-ci je me suis battue pour avoir ce que je désirai réellement. Et, sans crier gare, mon instinct et ma volonté ont pris le dessus sur tout le reste. Je ne voulais pas revivre ce traumatisme que fut ma première césarienne.
Pourtant, encore à cet instant, je me cachais derrière des angoisses qui avaient bon dos, mais qui restaient crédibles aux yeux de tous. Je ne voulais pas (re)vivre « ça » toute seule, je ne voulais pas ressentir de nouveau cette sensation hideuse et terriblement horrifiante de suffocation et d’étouffement, je voulais être avec lui, je voulais que l’on vive « ça », ensemble .
Certes, tout ceci est vrai, mais, bien plus que ça, je ne voulais pas être la spectatrice passive, allongée là, à attendre, les bras étendus comme Jésus sur sa croix, les premiers cris libérateurs de 9 mois d’une longue et fastidieuse attente. Je ne voulais pas accueillir un deuxième enfant sans pouvoir le toucher, l’attraper, l’embrasser, caresser son visage, le serrer dans mes bras libres et non prisonniers, attachés pour ne pas faire bouger les aiguilles plantées dans ma chaire. Je voulais pouvoir le garder tout contre moi, des heures et des heures, et non « 5 petites minutes ». Je voulais que l’on reste là, à s’apprivoiser mutuellement, à se regarder intensément, à s’apprendre par cœur, et non sans quoi, patienter deux longues terribles heures, seule, dans une salle froide et aux insipides, que mes jambes daignent se réveiller.
Je ne me suis jamais sentie aussi seule qu’à ce moment précis. Je n’ai jamais autant scruté et fixé les aiguilles de cette ridicule horloge accrochée tout en haut du mur, à quelques millimètres du plafond, à croire qu’ils étaient effrayés que les patients ne se lèvent et n’avancent les aiguilles.
Quand je suis remontée dans ma chambre, ce 18 avril 2013, j’ai trouvé un bébé dans les bras de mon compagnon, mon bébé, le mien. Mais voilà, je me suis sentie totalement démunie, comme si il avait manqué quelque chose dans mon cheminement pour devenir mère.
Il y avait eu « un avant » et « un après », mais il manquait « le pendant ». « Le pendant », celui que j’avais tant négligé, égoïstement, de peur « d’avoir mal (physiquement) », celui qui ne me paraissait pas bien important. On m’avait tellement répété que « l’important était qu’il soit en bonne santé » que je ne voyais pas plus loin. Il était en parfaite santé, soit.
Quant à moi, non, je ne l’étais pas.
Je parle de ma santé psychologique. Ça n’allait pas, pas du tout même. J’ai été frappé lorsque Zarico nous a demandé de revoir les films de lui bébé à la maternité. Je me suis vue, jusque là, ça ne m’avait pas réellement frappé mais, là, ça m’a sauté aux yeux. Te dire pourquoi maintenant, à cet instant précis. Je ne sais pas, peut être parce que j’ai fini par l’accepter et m’en faire une raison, peut être parce que je suis enfin prête à en parler.
Ce regard vide, ce teint blafard, ces larmes au bord des yeux retenus pour faire bonne figure, ces mains tremblantes lorsque je changeais sa couche, je me suis faite pitié, et, tout m’est revenu d’un coup, comme une énorme claque.
J’étais mal, terriblement mal. Et, à l’époque, jeune maman pour la première fois, j’ai mis ça sur le dos du Baby Blues. Et voilà, soyons clairs, même si aujourd’hui on l’accepte un peu plus, aux yeux de la société, et de nos familles (ou du moins la majorité), une jeune maman EST une femme heureuse. Point barre. Comment cela pourrait-il en être autrement?
Sauf que, ce n’était pas mon cas à 100% et que cette croyance en a rajouté une couche. Elle est tellement ancrée en nous, en moi, qu’elle me faisait me sentir encore plus mal. J’avais enfin tout ce que j’ai toujours voulu avoir, surtout après tout ce que nous avions vécu. Il était là, bien là notre Zarico. Qu’est-ce que je pouvais bien demander de plus?
Alors il a fallu jouer un rôle, celui de la jeune maman épanouie et heureuse. Je n’ai pas pu mentir bien longtemps auprès de ceux qui me connaissaient vraiment, quoique je ne leur ai jamais révélé les tréfonds de ce mal être latent. Je mettais tout sur le dos de la fatigue, de l’angoisse, sauf que c’était bien plus profond que ça. Je ne réussissais pas à me l’avouer à moi-même. Et quand bien même, j’essayais de l’expliquer on me rétorquais que j’avais tout et qu’il ne fallait pas chercher plus loin.
J’ai donc enfoui bien profondément cette histoire parce que l’on n’était pas prêt à comprendre, ce que moi-même je ne parvenais ni à comprendre, n à extérioriser.
Mais malgré tous mes efforts, des conséquences s’en sont suivies, de terribles conséquences. Des conséquences que je regretterai toute ma vie. Inconsciemment, j’ai très vite déléguer certaines tâches concernant Zarico à M’sieur Stache, ou quiconque le souhaitait. Non pas que je ne voulais pas m’en occuper ou que je n’en avais pas envie, mais parce que j’étais morte de trouille. Morte de trouille de mal faire, morte de trouille de le blesser ou tout simplement qu’il ne ressente ce mal être. Pour autant, je restais très fusionnel avec lui, et je l’aimais d’un amour inconditionnel, mais, malheureusement, je suis ce genre de fille qui se laisse bouffer la vie par ses angoisses.
M’sieur Stache a très vite pris les choses en main, et, aujourd’hui encore, alors que tout est rentré dans l’ordre, je ressens cette terrible culpabilité qui me ronge vis-à-vis de mon fils. Ce 18 avril 2013, on m’a arraché mon cœur de maman à grand coup de bistouri dans le bide. On m’a retiré ce lien indéfectible, ce « pendant ». Je suis passée de « jeune femme » à « mère », sans y être pour autant préparée. Jour après jour, je tente de le reconstruire, fils après fils, pelote après pelote. Seulement parfois, j’ai peur qu’il ne soit trop tard.
Mes proches me répètent que je suis une bonne mère, que je m’occupe parfaitement de lui, que je lui fais faire des tas de choses, que je l’aime profondément (trop même pour certain), que je suis une maman louve, que je le surprotège. Oui, mais au fond de moi, cette douleur et cette culpabilité me hante et me ronge, j’ai l’impression d’avoir manqué les premiers mois de mon fils, d’avoir pu profiter de ce bonheur, d’avoir été présente pour lui. Je vis avec la peur au ventre qu’un jour il le ressente et ne m’en veuille.
L’électrochoc fut terrible à la naissance de Lady Mogette. Elle, qui, sans crier gare est née naturellement alors que je m’apprêtais à vivre une seconde césarienne. Elle, qui, m’a permise de me réconcilier avec mon rôle de maman, m’a également fait comprendre beaucoup de choses. J’ai enfin pu connaître « le pendant », et crois-moi, pour moi en tout cas, il a toute son importance. Il m’a permis de ne pas être le spectatrice du plus grand rôle de ma vie, il m’a permis de prendre conscience que j’étais en passe de changer ma vie, une seconde fois. J’ai vécu le moment, je n’ai pas attendu bêtement, j’ai bossé pour, j’ai souffert pour, ça oui j’ai souffert, mais c’est de la bonne souffrance. Ce jour là, tout s’est éclairé.
Et, pendant les 13 heures de travail, je n’ai pensé qu’à une personne, mon fils, mon Zarico, celui qui a payé, bien malgré lui, les pots cassés de cette entaille dans ma chaire. Depuis, et même si les choses s’étaient grandement arrangé, ou du moins enterrées, depuis ses un an, j’ai repris les choses en main. J’ai repris à 100% mon rôle de maman.
Les gens ont vu la différence, tour à tour, j’étais la maman épanouie, la maman qui a de l’expérience. J’ai pu surprendre ou choquer, parfois même. Les gens m’avaient tellement vu déléguer aux premiers mois de Zarico, qu’ils n’ont pas de suite compris, et n’ont toujours pas compris, ce revirement de situation, laissant peu de place à mes proches qui voulaient prendre Lady pour la nourrir ou la changer.
Pour finir, certains ont mis ça sur le dos de l’accouchement par voies basses, que je m’en étais remise plus vite, que physiquement ça n’avait rien à voir, que j’avais « l’air » d’aller bien. Oui c’est sûr, mais ce qu’ils ont oublié, c’est le plan psychologique. Oui, je m’en suis remise plus vite, oui, j’allais bien, pas vraiment physiquement, ça non, j’ai quasiment autant souffert, même après (je vous épargne les détails), mais psychologiquement oui, j’allais bien, très bien même.
J’ai vécu cet accouchement comme une véritable délivrance, pas au sens où on l’entend, au sens psychique. Il m’a réconcilié avec ce rôle que j’ai toujours voulu tenir, LE rôle de MA vie, celui de maman.
Désormais, je me sens sans limites, ou presque, et, j’ai compris d’où venait ce mal être. J’ai compris qu’il ne m’avait pas empêchée d’être une « bonne » maman, mais qu’il m’avait empêchée d’être la maman que je voulais être, qu’il m’avait empêchée de vivre l’instant présent et m’avait interdit de savourer le bonheur d’être une mère en toute simplicité. Il m’a empêchée d’avoir la confiance nécessaire en moi-même. Il a mis la barre trop haute, bien malgré moi, comme si j’avais quelque chose à prouver, comme si je devais tout décupler pour rattraper ce manque du « pendant ». Je m’étais alors persuadée que je ne savais pas faire ou alors que je le faisais mal, que je n’étais pas capable de m’occuper de lui correctement, et surtout, toute seule. Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps, jusqu’à ses un an, pratiquement. Mais, aujourd’hui encore, je vois bien que ces mécanismes sont devenus notre quotidien. Zarico est très proche de son papa, déclenchant parfois un sentiment de jalousie en moi. Je suis profondément blessée lorsqu’il réclame son papa et pas moi, lorsqu’il demande à ce que ce soit son papa qui le couche et pas moi, lorsqu’il réclame son papa quand il se blesse et pas moi (bon, aux dires de mon cher et tendre, c’est kiffe/kiffe mais je ne retiens que les moments où il appelle son père), même si, je sais au fond de moi, que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.
Je me soigne petit à petit, nous nous ré-apprivoisons Zarico et moi, car même si nous sommes très très proches, j’ai toujours eu ce sentiment qu’il manquait quelque chose, qu’il manquait de quelque chose venant de moi.
De toute façon, quoique je fasse, je crois que j’aurai toujours cette peur indéfectible de ne pas l’aimer assez fort ou correctement, de ne pas faire ce qu’il faut quand il le faut, de manquer à mon rôle, mais d’après les croyances, il paraîtrait que c’est justement ça, être mère.