Je m’étais toujours dit que tu n’aurais pas ta place ici, que jamais je n’écrirais pour toi. pour moi, tu ne mérites pas qu’on écrive à ton sujet. Tu ne mérites même pas que l’on s’arrête sur toi.
On te voit assez partout pour ça. Pas besoin d’en faire des tonnes. Tu as réussi à hanter certaines de mes nuits pour que je daigne perdre mon temps à parler de toi. De toute façon, je n’estime pas avoir la plume qu’il faut pour écrire à ton sujet. D’autres le font bien mieux.
C’est déjà bien suffisant à mon avis. Tu as déjà fait bien assez de mal, en arrachant la vie à des milliers d’innocents à travers le monde.
Oui, mais voilà, comme on dit chez nous, « Y’a qu’les cons qui n’changent pas d’avis » (soit dit en passant, toi, tu dois être sacrément con).
Et, de toute manière, il me semble bien que, là, tous mes principes, mes repères, foutent le camp.
Tu sais, enfin si tu sais quelque chose, je ne suis pas la fille qui montre vraiment ses émotions, au grand malheur de mes proches. Mais là, tu as été trop loin, mec/tas d’immondices…
Avant hier, je faisais ma maligne en scandant qu’il ne fallait pas céder à la peur, qu’il fallait [essayer] de continuer à vivre « normalement »(quoique tu fais disparaître, petit à petit, le sens de ce mot) même si, comme bien des gens, je fondais en sanglots devant l’horreur des images journalistiques vendant du scoop et du sensationnel à tout va. Comme la plupart, qui n’a pas vécu ton ignominie et tes actes abjectes, le lendemain, la vie reprenait son cours, avec un peu de vague l’âme, je reprenais le cours de ma vie. J’allais faire mes courses, j’emmenais mes enfants au parc, au zoo, je sortais, sans craindre grand chose. Je restais l’Humain lambda qui pense que ça se passera toujours chez les autres. Je voulais, par simple protection psychologique, rester à penser que tu n’étais qu’une ombre éloignée.
Avant hier, les « et si » n’étaient que pipi de chat. Ils étaient là, oui, c’est sûr, mais ils étaient bien vite balayés devant l’attrait de mon occupation. Oui, c’est vrai dimanche, lors d’une sortie familiale , un petit « et si tu frappais, là, maintenant » est venu me hanter. J’ai eu un peu peur, pendant quelques secondes mon coeur s’est accéléré, jusqu’à ce que je me fonde dans la foule et me laisse emporter par l’ambiance générale.
Avant Hier, je me suis couchée, paisible et heureuse d’avoir vécu ce moment de joie, de convivialité.
Avant hier, j’étais naïve, ou humaine, au choix.
Sauf que…
Hier, tu m’as faite passer de l’autre côté.
Hier, alors que je dormais paisiblement, j’ai été réveillée par des explosions. Je me suis dit, naïvement, que ce n’étaient que des pétards.
Hier, mon fils est venu me rejoindre dans mon lit, pour me faire un câlin.
Hier, il m’a aggripé au cou, quand nous avons entendu une deuxième série d’explosions. Sauf que, j’étais bien éveillée. J’ai déjà entendu ce type d’explosion. Dans les films. Il s’agissait de tirs en rafale.
Hier, j’ai bondi du lit, comme jamais je n’ai bondi. Instinctivement, j’ai fermé toutes les fenêtres.
Hier, j’ai pris mon téléphone. J’avais 8 SMS, des tas de MP. 8 SMS où l’on me demandait où j’étais, si j’étais à l’abri avec les enfants, si ça allait.
Hier, j’ai d’abord pensé à une course poursuite dans le quartier, c’est déjà arrivé. Ça ne m’a pas plus paniqué
Hier, je n’ai pas.compris.
Puis, j’ai branché ma télé, machinalement, sur BFM. C’est presque devenu naturel comme geste, en fait.
Hier, mon père m’a appelé apeuré pour nous. Il m’a tout expliqué. Je n’ai pas compris tout de suite.
Hier, j’ai vu le nom de ma ville partout à la télé, sur des bandeaux, dans la bouche des journalistes.
Hier, j’ai compris
Hier, nous avons dû nous barricader chez nous, pendant 9h. Nous avons dû interdire à notre fils de s’approcher des fenêtres.
Hier, tu as privé mon fils de voir ses arrières grands-parents. Hier, toi, sombre con, tu as fait pleurer mon enfant à maintes reprises parce qu’il voulait simplement, du haut de ses 3 ans, aller jouer dans le jardin de son papy, comme on le lui avait promis la veille.
Hier, tu nous a forcés à devoir parler à ce trop petit Être du monde qui l’entoure. Tu as dû nous faire lui dire les atrocités qui règnent sur cette planète à cause de toi. Nous avons utilisé des mots simples pour te nommer même si bien d’autres, bien moins mignons, me venaient en tête. Il a compris que la police nous protégeait, que nous le protégions. Une fois tes sbires « neutralisés » et le déminage fait, il a passé son temps à aller voir par la fenêtre si la police était toujours là, parce que lui, il voulait s’en aller.
Hier, tu as volé l’innocence de mon fils. Et, pour ça, je te hais.
Hier, tu as entaché des souvenirs d’enfance dans cette église où l’on se pelait les os, à Noël, pour entendre les couacs musicaux de ma petite soeur clarinettiste. J’étais adolescente, ça me faisait grave chier d’y aller, surtout pour entendre « Le Pont de la rivière Qwai » pour la millième fois, mais on se marrait. C’était un truc de famille. Ma sœur, du haut de ses 12 piges était fière de montrer ses progrès. C’était beau à voir malgré tout ce que je pouvais dire à l’époque.
Hier, tu as égorgé un homme bon, généreux et simple. Un homme qui a bercé mon enfance et qui nous racontait des histoires sur un type chelou qui transformait l’eau en pinard, type, qui j’en suis encore plus sûr, aujourd’hui, n’existe pas. Mais bordel qu’il était gentil et bon.
Mais, putain, mec, t’as déconné sévère là, tu butes des gamins, des familles et un vieillard sans histoire de 80 ans. Tu le vis comment? T’as pas trop honte?
Hier, j’ai vécu l’horreur.
Hier, j’ai dû me contenir pour ne pas céder à la panique et faire peur à mes enfants.
Hier, j’ai vu des militaires en tenue de combat, armés jusqu’aux dents. J’ai vu des hommes, aussi musclés que la Montagne, encagoulés et vêtus de noir. J’ai vu des dizaines de policiers. J’ai vu des camions de pompiers par dizaine. J’ai vu la sécurité civile. J’ai vu la BRI. J’ai vu tout ça. J’ai vu tout ça, en bas de chez moi, putain. Mon fils a vu tout ça.
Hier, j’ai sursauté au moindre bruit suspect.
Hier, mon cœur s’est arrêté 12 fois au moins. Ma tension était proche de l’implosion. Mes mains tremblaient. Les larmes montaient.
Hier, j’ai réalisé.
Hier, je n’ai pas réalisé que c’était réel.
Hier, j’ai réalisé que je n’arrivais pas à réaliser.
Hier, mon cerveau a freezé devant tant d’émotions et de ressentis contradictoires. Il lui faudra du temps pour réaliser l’irréalisable.
Hier, le temps s’est arrêté.
Hier, tu m’as projetée en première ligne.
Hier, tu m’as fait comprendre que nous n’étions plus en sécurité nul part.
Hier, et je l’avoue, tu as bien réussi ton coup là dessus, tu m’as fait voir ce qu’était la peur.
Hier, tu m’as fait perdre à tout jamais ma naïveté et le peu d’insouciance qu’il me restait.
Hier, tu as touché ma ville.
Hier, tu as touché l’église située à 2 mètres de l’école de mon fils.
Hier, tu m’as fait comprendre que l’on pouvait mettre Paris en bouteille. Qu’enfin de compte, les « et si » étaient bel et bien réels.
Hier, tu étais à 50 mètres de chez moi.
Hier, tu es entré dans ma vie. Tu as violé mon quotidien, mes habitudes.
Hier, j’ai pris conscience de ce que tu avais fait quand les photos de profil de mes contacts se sont parés d’un « Je suis ». Sauf que, cette fois, il y avait le nom de ma ville, celle où j’ai grandi, celle où j’ai joué, ri, beaucoup, dansé, énormément, celle où mon amoureux a grandi, celle où mes enfants grandissent, jouent, rient et dansent, à leur tour.
Et, pourtant, hier, j’ai réalisé qu’il y avait encore de l’humanité. J’ai réalisé que beaucoup de gens nous aimaient et s’inquiétaient pour nous. J’ai réalisé que même, malgré la distance, beaucoup se sont enquéris de savoir si nous allions bien. Beaucoup nous ont tenu compagnie grâce aux réseaux sociaux et au téléphone. Des personnes qui, je le savais, seraient là, et d’autres à qui je ne parle pas (assez) régulièrement. J’ai été énormément touchée. Alors ne te leurre pas, sombre crétin, tu n’as pas totalement gagné la bataille.Toutes ces personnes m’ont montré que l’Amour, l’Amitié, l’Humanité, la compassion, l’altruisme, la solidarité existaient encore, et qu’il faut continuer à se battre pour ça.
Aujourd’hui, je réalise tout ça.
Aujourd’hui, je réalise que le monde devient fou.
Aujourd’hui, je réalise ce monde que nous sommes en train de léguer à nos enfants.
Aujourd’hui, je réalise que les « et si » peuvent se réaliser.
Aujourd’hui, je réalise que je suis fatiguée de tout ça.
Aujourd’hui, je réalise que nous avons eu beaucoup de « chance » de ne pas être blessés, ou pire. Je réalise le travail de tous ces hommes et femmes qui ont magnifiquement fait leur travail, et, qui nous ont permis d’être sains et saufs. Et du haut de cette petite missive, je les en remercie du plus profond de mon cœur.
Aujourd’hui, je réalise, plus que tout, qu’il faut s’aimer les uns, les autres, sans penser à demain, qu’il y a des gens qui nous aiment et que c’est tout ce qui compte.
Aujourd’hui, je réalise qu’il faudra travailler dur pour que la nouvelle génération change toute cette haine.
Aujourd’hui, je réalise que je suis concernée, que ça ne se passe pas que chez les autres.
Aujourd’hui, je réalise que tu es lâche, pleutre et sans vergogne.
Aujourd’hui, je te hais, bien plus qu’hier et bien moins que demain.
Aujourd’hui, je réalise qu’il y a eu hier, et, que plus rien ne sera jamais comme avant hier.
PS : J’aurais aimé qu’il y ait une pronom neutre, comme en anglais, pour te nommer, hors, le français n’a pas cette particularité, à mon grand regret. À mon sens, tu ne mérites pas qu’on te tutoie. Ce n’est pas grave, je suis passée outre. J’ai utilisé le « tu », même si tu n’as pas de visage. En revanche, je n’utiliserai jamais ton nom, je ne te ferai pas le plaisir d’écrire ton nom.