Publié dans Le parcours du combattant

Apprendre à vivre avec le vide

Le 15 octobre est une journée particulière pour tous les parents qui ont dû affronter la mort de leur enfant.

Le 15 octobre, comme tu le sais maintenant, c’est la journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal.

Une journée banale en soi, une journée pleine de sens pour moi, comme pour des milliers d’autres parents…

Il y 4 ans, je ne savais pas que cette journée existait et j’étais à 20000 lieux d’imaginer ce qu’était le deuil périnatal, et peut être encore moins qu’il était possible de perdre un bébé qui grandit en soi…

Il y a 3 ans, pourtant, je vivais ma dernière journée avec mon bébé vivant dans mon ventre, je vivais mes derniers instants avec notre fille, bien au chaud, loin de se douter de ce qui se tramait. Je lui ai parlé, combien de fois je lui ai expliqué ce qui allait arriver, combien de fois je me suis excusée de lui avoir fait vivre ça… Je ne sais plus, sans doute pas assez.

Quand nous avons décidé de faire un enfant avec M’sieur Stache, nous n’imaginions pas une seule seconde de la tournure que ça allait prendre, encore moins des conséquences que ça engendrerait. Nous étions comme tous futurs parents, excités à l’idée de pouvoir accueillir un « mini-nous » dans un appartement trop petit. Nous étions prêts à lui donner toute la place possible dans nos cœurs et bien plus encore.

J’ai toujours voulu un enfant, et j’ai dû prendre la tête de M’sieur Stache au moins mille fois avant qu’il n’accepte. Lorsqu’il a dit oui, ça a juste été l’un des plus beaux jours de ma vie. J’étais tellement heureuse et pleine de vie, que, comme d’habitude, je me suis emportée, prête à exploser de bonheur. Je suis ce genre de fille qui vit les choses à 200% quitte à en faire trop. J’étais heureuse et rien ne pouvait m’arrêter…

Alors quand je suis tombée enceinte quelques semaines plus tard, je ne te laisse même pas imaginer.

Je me sentais tout simplement invincible, pleine de vie, un genre de Superwoman à qui il ne pouvait rien arriver.

Quand j’y repense, ces moments ont sans doute été les plus belles semaines de ma vie. Pour la dernière fois, je vivais le bonheur à l’état pur sans avoir peur du retour de médailles, je connaissais l’incrédulité, j’étais inconsciente de plein de chose. Je ne me doutais pas que quelques années plus tard, je me méfierais de chaque moment heureux, comme si une conséquence négative devait obligatoirement s’en suivre. Je ne savais pas que je deviendrais cette fille aigrie qui se fout de tout, qui ne s’attache plus à rien de peur qu’on le lui retire. Je ne savais pas ce que c’était que de se faire arracher le cœur et d’avoir cette horrible de sensation de vide qui me poursuivrait jusqu’à ma mort. Je ne savais pas encore qu’il était possible de perdre un bébé, que la vie pouvait être une pute, et que si il y a avait un Dieu quelque part, il n’existait tout simplement pas.

Bien que j’ai eu un mois pour me faire à l’idée que j’allais perdre ma fille, je n’ai pas imaginé une seule seconde la douleur que j’allais ressentir une fois qu’elle serait partie. Les douleurs physiques, j’en ai eu des tas, je m’en suis toujours relevée. La douleur psychologique, sentimentale, je ne l’avais jamais connue, et je n’aurais jamais pu avoir l’idée qu’elle serait si forte.

Perdre un enfant, là où l’on devrait donner la vie est tout simplement improbable pour la conscience humaine, et je pense que tant qu’on ne l’a pas vécu on ne peut pas vraiment comprendre.

Ce vide ressenti,
Cette intolérable sensation d’avoir donné la mort,
Cette culpabilité qui grandit d’avoir laissé son enfant partir,
Ces « et si… » qui se multiplient, qui trottent, que l’on évince, mais qui reviennent toujours,
Ce mal être persistant,
Ces dates anniversaires qui reviennent sans cesse,
Ce sentiment d’avoir donné la mort,
Cette terrible sensation d’injustice,
Cette jalousie, terrible jalousie qui vous ronge jusqu’à l’os quand on aperçoit un ventre rebondi, un nourrisson dans un landau ou une maman qui berce son tout petit, bien vivant lui,
Cette incompréhension persistante pour le cerveau humain : devenir maman, puis non, l’être sans l’être,
Cette immonde épreuve d’accoucher d’un enfant mort, là où il devait vivre,
Ce moment d’abandon insurmontable,
Cette sensation nauséeuse de se sentir vide, comme aspiré de l’intérieur, 
Continuer à vivre sans se sentir vivante,
Cette horrible vérité de ne pas savoir à qui ressemblera notre enfant, ne pas pouvoir plonger son nez dans sa nuque pour sentir son odeur le matin, ne pas savoir quel sera son jeu préféré…
Réfléchir, imaginer très fort, le plus fort qu’on puisse pour tenter de mettre un visage qui grandit sur un être que l’on n’a jamais vu, ne pas y arriver mais ressentir ce besoin quand même,
En vouloir à son entourage d’oublier, de faire comme si, de passer à autre chose, d’être blessant,

Cette autre culpabilité naissante quand un autre enfant arrive, lui plein de vie, 
Se sentir horrible de culpabiliser autant, 

Puis, ce besoin de s’en sortir,
Aller mieux,
Réapprendre à vivre, 
Ou devoir réapprendre à vivre,
Retomber, 
Remonter,
Encore et encore…

C’est ça être Parange,
il faut juste apprendre à vivre avec ce vide

Puis la vie continue, et cette pute qui vous a tant fait souffrir vous fait un cadeau, un merveilleux cadeau, et vous donne enfin la chance, l’immense bonheur de devenir parent.

Alors aujourd’hui je suis triste, j’ai envie d’arracher ses larmes de mes yeux qui coulent malgré moi, puis je regarde Zarico, et mon coeur se remet à battre la chamade. Je pense à lui, je pense à mon Ange, et mon cœur s’illumine. Zarico m’a redonné ce souffle de vie qui m’avait quittée. J’ai réappri à vivre pour lui, parce qu’il est mon rayon de soleil, la plus belle chose qui me soit arrivée.

18 commentaires sur « Apprendre à vivre avec le vide »

    1. C’est bientôt fini ❤ Mais c'est important pour moi d'en parler et de donner aussi la parole à d'autres parents qui on subi la même chose 😉
      Promis après je ne te ferai que pleurer de rire ^^

  1. c’est difficile d’imaginer une telle douleur. mais même sans l’avoir vécu, on sait q c un abime sans fond. beaucoups d’admiration pour ces paranges survivants, ces rescapésde l’enfer pour qui rien nest plus pareil. cette journee dlibère la parole de ces femmes blessées,qu’on voudrait silezncieuses car la souffrance à ce niveau gène.

    1. Oui c’est tout à fait ça, cette situation gêne énormément de monde et la plupart préfère que ces parents se taisent. J’ai connu ça au sein même de ma famille… Malheureusement pour eux, je ne suis pas de ce genre

  2. Coucou Charlotte, je suis extrêmement touchée et émue de lire tes mots, si bien choisis, et de voir ta bataille pour que le monde reconnaisse ce deuil terrible.
    J’ai perdu un bébé, à 9 semaines seulement, c’est ce qui s’appelle vulgairement une fausse-couche, je n’ai pas connu cette douleur immense que tu portes en toi mais je l’ai touchée du doigt, j’en ai bien toujours une miette au fond de la gorge, au fond du coeur. Pas de sexe, pas de prénom, c’est moins douloureux de ne pas savoir du tout qui était en train de grandir en moi, mais quand même. Ça fait terriblement mal, on s’en remet difficilement.
    Alors un grand merci pour tous ces posts magnifiques, et courage à toi, pour porter cette si lourde peine.
    J’espère qu’on se croisera à Paris en décembre !

    1. Coucou et merci d’avoir pris le temps de lire quelques article 🙂
      Je déteste ce mot fausse couche, et la façon dont les gens ont de la dédramatiser… J’ai aussi vécu une « fausse couche » et comme tu le dis si bien, ça fait très mal et s’en remettre paraît très difficile!
      Plein de boujoux et rendez-vous en décembre!!!

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